Le Temps du Vivant – Dénètem Touam Bona

Conférence – Variations spectrales : le refuge comme pratique de l’envers

L’endroit définit le droit, l’usage et l’emplacement légitime, la façon et l’ordre dans lequel toute chose doit être placée et utilisée. Si le crucifix situé au-dessus de la commode me semble de travers, je le remets à l’endroit, je ne le remets pas à l’envers sauf si je souhaite défier l’ordre du monde… Si par « diable » on entend l’esprit de rébellion – cette force qui nous pousse à contester l’ordre du père, l’ordre du maître, l’ordre de dieu, l’ordre du capital –, il se pourrait bien que les colons aient eu raison de voir l’œuvre de Satan dans les cultes secrets des « nègres ». Tous les indociles relégués dans les oubliettes de l’Histoire revivrons en nous à chaque fois que nous les invoquerons – on choisit ses ancêtres –, que nous briserons le continuum temporel pour retrouver les traces de leurs pratiques et de leurs conceptions. « Rien de ce qui s’est passé un jour ne doit être considéré perdu pour l’histoire » rappelle Walter Benjamin : il n’est pas un geste, une action, une vie – aussi misérable qu’en paraisse l’auteur – qui ne puissent être sauvés par un récit, une danse, un chant ou une barricade. Dans les mondes afrodiasporiques, le soin des morts – les habitants de l’envers – est célébration de la vie mais aussi soin offensif, car les spectres réclament toujours justice quitte à (r)enverser l’ordre des choses.